entre deux mondes ...

FT NORA.

Allongée sur le ventre, la tête sous l’oreiller, je somnole, même si cela doit bien faire deux heures que je suis réveillée, je ne compte pas bouger. Je sens un poids s’écraser sur mon dos, je lâche un juron, des petits bras m’entourent. Je pousse déjà un soupir, un très très long soupir. Je crois savoir de qui il s’agit. Je grogne, mais le son étouffé par l’oreiller ressemble plus à un ronronnement. Ma main touche celle de l’intruse et je reconnais évidemment sa petite main. Je sors la tête d’en dessous de l’oreiller et la fait basculer sur le côté pour me libérer de son corps. C'est pas qu'elle a pris un peu de poids mais ... « Nora, dégage ! Il est encore tôt ! Tu pourrais avoir un peu de compassion, j'ai rien dormi. » Je grogne une nouvelle fois en lui laissant tout de même de la place. Elle se glisse sous ma couette. Je me surélève, et je regarde le réveil sur la commode, je bats des cils parce que je suis encore dans les vapes et que je ne vois strictement rien, bon, il est onze heures en fait, mais vu que je me suis couchée à six heures, ça compte pas. Je me prépare mentalement, avant de gueuler. « LOXIIIIAAS ! » J’hurle de ma voix cassée, l'appelant à l’aide, en fait. « VIENS LA RÉCUPÉRER ! » Je continue comme s’il s’agissait d’une peluche qu’on peut trimbaler à sa guise. Ca serait tellement bien. Aucune réponse, il doit être sorti. Ou il fait le sourd. Je retombe lourdement sur le matelas et je repousse la couette. « Il est jamais là quand j’ai besoin de lui, sérieux. Il le fait exprès ?! » Je m'exclame en bougeant brutalement des mains, pivotant vers la petite. « C’est bon je me lève, t’as gagné. » Je lui réponds, en passant une main sur sa tête, la décoiffant volontairement. Je sors du lit tandis qu’elle, elle fait la feignasse. Comme d’habitude en fait. J’ouvre le placard et je sors un haut que je balance sur le lit, puis le jean qui suit avec, j’attends l’approbation de la gosse, qui ne tarde pas à venir, elle est ok. J’enfile avec les fringues avant de me retourner vers elle. Je m’assois en tailleur sur le lit, et je lisse automatiquement la couette du plat de mes mains. « Alors, il est où mon neurologue ? » Je la questionne. « Tu connais mes exigences, un salaire à au moins six chiffres, et tout ... Ne me fais pas de fausse joie. » Je me moque avec un sourire innocent. Oui, oui, tout à fait crédible, je sais.

Un sourire béat aux lèvres, je me retrouve à gravir les marches qui mènent vers les chambres d‘un pas dansant et sautillant. Rien de très faramineux ou luxueux, la base améliorée. Ok, vraiment très améliorée en comparaison à ce à quoi nous pouvons servir dans ce monde, à notre « mérite » Ce concept qu’on entend au sortir de toutes les bouches, parfois même mal avisées ou très peu avisées. Soit. A mon sens, c’est assez dérisoire, démesuré et risible à vrai dire. Mais, c’est toujours comme ça. Ceux qui méritent n’ont rien et ceux qui ne méritent rien ont tout, ou une grande majorité du tout. C’est triste et profondément injuste... Cependant, même cette pensée n’arrive à m’arracher à mon humeur du jour. C’est donc, imprégnée et emmitouflée dans ma bonne humeur, frappée de luminosité excessive, que je déboule dans la chambre d’AJ sans y avoir été, au préalable, invitée. Quoique, si je devais attendre une quelconque invitation ou faire-part, j’en ai encore pour quelques décennies... Un rapide coup d’œil dans la pièce supplanté de quelques pas, et je la vois étendue sur toute la diagonale de son lit XXL qu’elle ne partage qu’avec elle-même. Encore une injustice. J’hausse les épaules avant d’aligner une nouvelle série de pas qui se terminent par un envol rapide et efficace mais surtout un atterrissage en douceur sur la rouquine que je devine sous l’amas d’étoffes blanches. Mes bras prennent le relai pour aller l’encercler alors que ses douces et affectueuses paroles me parviennent en différé. Mon sourire amusé ne déloge pas tandis que le soupir qu’elle lâche s’allonge dans le temps. Nos mains s’effleurent et c’est le signal pour AJ de me virer de son dos, le matelas m’accueille et j’échappe un rire. « T’es grossière de bon matin Ginger… » je sifflote d’un air léger, allongée sur le dos, une de mes jambes trainant encore en travers du dos de la jeune femme. Par ailleurs, entre temps, j’avise l’horloge murale et c’est à mon tour de souffler bruyamment. 11h sans déconner. Je me souviens d’une fois où elle est venue m’emmerder à 6 heures du matin, 6 HEURES DU MATIN !! Je la regarde perplexe bouger, se débattre dans ses draps avant que le soprano de sa voix s’emballe et hurle un prénom que je ne connais que trop bien. « Il ne te sera d’aucune utilité » je lance tout sourire, d’une voix posée, relevée sur un coude, ma main soutenant ma tête, l’air de rien, en faisant mine de vérifier mon inexistante manucure pour parfaire le tableau. AJ poursuit, m’arrachant un sourire. « Il ne te sera d’aucune utilité, bis » je répète d’une voix atone. Oui, au cas où elle n’aurait pas compris. A son regard chargé d’incompréhension, je balance une maigre explication. « C’est le seul qui parlait un tant soit peu la langue » et j’affiche un sourire fier en hochant sensiblement la tête. Autrement dit, il est parfait. Non, je n’ai pas besoin de confirmation. AJ surenchérit, je lève les yeux au ciel. « Au contraire, trop serviable. Regarde jusqu’où cela m’a menée » j’ajoute taquine. Eh bien oui, s’il n’était pas parti porter une main secourable, il y’a de fortes chances pour qu’à l’instant même AJ soit encore entrain de dormir et profiter de sa grasse-matinée. Mais non ! La seconde d’après, elle me prend pour son chiot et mes cheveux subissent une tempête de force huit. C’est à mon tour de grogner de mécontentement. « Putain, ils étaient démêlés ! » je lâche entre deux manifestations d’insatisfaction. Au moins, elle se lève, j’dois m’estimer heureuse… Puis, alors qu’elle s’affaire à se diriger vers son placard, je me prélasse dans son lit, en attendant ses propositions de tenues. Rituel. D’un signe de tête, j’approuve et la seconde d’après elle se ramène sur le lit. Son neurologue ?! Ah oui. « Il avait tous les critères même celui du silence mais il a aussi compris, par ta faute, mes intentions peu louables. Du coup, par ta faute encore, j’ai perdu une masterpiece dans mon large entourage, mon cercle d‘amis… » je me lamente en affichant une mine de chiot battu. « Et toi, ton mari riche… Quelle tristesse » j’ajoute avant de lâcher un soupir à fendre les cœurs. Enfin tous, sauf celui de mon AJ évidemment… « La perfection qui te file d’entre les doigts à cause de ton acharnement AJinette, t’es contente ? » Rhétorique et provocateur. Si rhétorique et provocateur que je poursuis dans la lignée. « …tu dois être condamnée à n’avoir que moi en fait… » pensive.