AMEDEE - MARDI 2 - 15H

Je me répète depuis la fin du prime que ce n’est pas moi le problème mais que cela vient plutôt de Jason. Je me dis que c’est pas grave, il n’y a pas mort d’homme et qu’un mec bien j’en rencontrerais un le moment venu. Je suis persuadée que si je me le répète assez, j’arriverais à m’en convaincre. D’ailleurs, je suis sure que ça fonctionne. Je me sens certes trahis et terriblement conne, mais je suis bien. Soit c’est ma technique fabuleuse de l’autruche, soit c’est le fait que je sois en finale. Je ne saurais dire vraiment. Toujours est-il que je n’ai même pas envie de pleurer pour ce crétin et que je parviens même à presque plus y penser. Non ce qui me perturbe vraiment c’est Amédée. J’ai lu la détresse dans son regard le soir du prime et je ne parviens même pas à imaginer ce qu’il peut ressentir à l’heure actuelle. D’autant qu’Amédée n’a peut-être pas fait les choses comme il fallait, mais il a au moins eu le mérite de lui dire la vérité, chose que personne n’avait fait auparavant. Du coup, je me suis mise en tête de le trouver. Amédée a été de nombreuses fois présent pour moi, j’ai envie d’être à mon tour là pour lui. Je sais qu’il est moins apte à parler que moi et que peut-être il m’enverra bouler. Mais j’aurais au moins fait l’effort de venir lui montrer que je là pour lui. Et puis, on est pas obligé de parler, on peut simplement trainer tous les deux. D’ailleurs, il y a de grande chance que ça se passe comme ça, Amédée n’est pas du genre trop démonstratif. Bref, la première étape serait avant tout que je lui mette la main dessus. J’ai l’impression que ça fait des heures que je cherche, mais clairement je ne cesserais pas tant que je ne l’aurais pas trouvé. J’avais aucune idée de l’endroit où je pouvais le trouver. J’ai été voir dans notre maison d’abord, dès fois qu’il aurait été nostalgique de tout ça, puis je suis tranquillement remontée, fouinant de-ci delà. Je l’ai toujours pas trouvé quand j’entre dans la villa et j’espère l’y trouver parce que je commence vraiment à avoir froid de tout partout, alors qu’en plus, la température se réchauffe doucement. Finalement, je pousse la porte du salon et je le trouve là, affalé sur le canapé. Je me glisse doucement à ses côtés, mais je ne sais pas vraiment par où commencer, ni même si je dois vraiment commencer. J’ai pas envie de l’embêter, de le saouler, je reste donc en silence. S’il veut être seul, il n’a qu’à me le dire.

Je finis sur le canapé, comme toujours, après une nuit partiellement blanche, comme toujours, et j’attends mon réconfort qui amènera le sommeil avec elle. Temporairement, mais c’est toujours ça de pris. Sauf que je n’ai pas l’envie de m’imposer à nouveau, alors j’attends qu’elle vienne d’elle-même, pour ne pas souffrir, en plus, de la culpabilité de faire chier une autre personne. C’est con ? Oui, probablement, mais je suis pas en état de réfléchir de façon correcte ou cohérente, alors je me pose là où elle pourra me trouver, dans l’espoir qu’elle me trouve à défaut de me chercher réellement. Le salon. Parce que je sais qu’elle occupe toujours la suite royale, et c’est bien normal. Le salon où elle devra passer, si elle se trouve encore dans le Goulag. Je m’y rends, et je finis sur le canapé, espérant qu’elle viendra. Je crois que je m’endors, à moment, je m’endors parce que lorsque j’ouvre les yeux, lorsque je reprends conscience, je sens une présence dans mon dos. Petite, discrète, mais confortable. Elle m’a finalement trouvé. M’a-t-elle cherché ? Peu importe, me voilà entrain de fouiller derrière moi à la recherche de son bras, que je ramène contre moi, comme une peluche. Ce n’est qu’au moment de glisser mes doigts entre les siens que je remarque que cette main n’est pas sienne. Encore dans le gaz, j’ai quand même la connerie de m’interroger pendant une fraction de seconde sur ce qu’elle a pu branler pour changer de main comme ça, avant de réaliser qu’il ne s’agit tout simplement pas d’elle, et d’opérer un bref mouvement de recul. Mouvement de recul consistant à coller mon nez et mon corps contre le dossier du canapé, avant de tourner la tête pour tomber nez à nez avec... « Gaïa ? » Qui d’autre, sérieusement ? Elle va me prendre pour un dingue. Mais peu importe.Du coup, je me retourne pour lui faire face, tout en veillant à faire le moins de mouvements brusques possible, histoire de pas envoyer voltiger son poids plume sur le sol. J’ai pas envie qu’elle prenne mal mon mouvement de recul, ni qu’elle s’inquiète pour moi, bien que le regard qu’elle me lance en cet instant prouve totalement le contraire. « Tu vas bien ? » je demande, en glissant une main dans ses cheveux pour les débarrasser de devant son visage. Oui, c’est plus simple de m'inquiéter pour les autres que de les laisser s’inquiéter pour moi. J’suis pas à l’aise dans le rôle du personnage fragile.Je suis tellement meilleur en protecteur. Non ? Si.

J’aurais peut-être dû prendre quelque chose pour nous, un film ou une bouteille, histoire de nous occuper. Mais j’y ai pas pensé. J’ai jamais été dans une telle situation, une situation de morosité pesante entre tous les habitants de cette maison. Tout le monde en a eu pour son compte et doit faire avec. Mais Amédée, c’est le pire du pire, ou alors c’est Zadig, enfin, les deux quoi. Toute leur vie est remise en cause pour une toute petite broutille. A côté Jan et moi c’est du pipi de chat. Je chipote vraiment pour rien. Comme toujours d’ailleurs. Je me rends compte qu’il arrive vraiment très souvent que je fasse une montagne de pas grand-chose. Il faut impérativement, pour la suite de ma vie, que j’apprenne à relativiser. J’ai vraiment dû saouler Amédée pendant toutes ces semaines. Et même pendant le prime. Je dirais pas que c’est le maitre de la patience, ce serait mentir, mais il est tout de même sacrément calme ce garçon. C’est pour ça que de le voir dans ce triste état me peine. Je n’aime pas le voir si mal, ça me déchire le cœur, ni le voir en colère, ça aussi ça me rend triste. Je suis là à côté de lui et j’ai l’impression de ne rien pouvoir faire, je suis simple spectatrice de son désarroi. Il ne prend même pas la peine de regarder de qui il s’agit, voilà qu’il se colle à moi et qu’il glisse sa main dans la mienne. Mais qu’est-ce qu’il fout ? Je pensais pas qu’il voulait ce genre de réconfort. Je crois qu’il y a méprise. J’ai envie de lui souffler que je ne suis pas Eléa, mais je n’en ai pas le temps, il se redresse et il a un mouvement de recul. Ca va, je comprends, moi aussi je trouvais ça dégoutant cet élan de tendresse. « Ah mais la voilà l’explication, tu voulais mon corps depuis le début. D’où l’animosité avec Jason. » Je dis dans un léger sourire. Tout à fait crédible, c’est sûr et puis ça explique bien ce mouvement de recul tout à fait opportun. Si je vais bien. Ouais ouais, il veut pas parler de lui, j’en étais sûre. Pas grave, au moins, il sait que je suis là et que moi je crois en lui, quoiqu’il advienne. Et je sais que Zadig aussi, ça lui prendra peut-être un peu de temps avant de s’en rendre compte. Je crois pas qu’il ait besoin que je le lui dise pour le savoir. Je crois que ça se voit et qu’il le sait. Je l’espère en tout cas. « Je vais bien. » Aussi étonnant que cela puisse paraitre, c’est la vérité. Bon, c’est pas non plus la folie douce, je me sens largement trahit et terriblement humiliée, même un peu en colère. Mais j’ai décidé de ne pas laisser Jason ruiner ma dernière semaine d’aventure. Je lui ai fait confiance, j’ai eu tort, mais je ne veux plus verser de larmes pour ce crétin. S’il ne m’apprécie pas à me juste valeur, c’est qu’il n’a rien compris.  « Tu crois que je trouverais quelqu’un de bien un jour ? » je lui demande en plantant mon regard dans le sien. Parce que jusqu’à maintenant, je suis toujours tombée sur des personnes comme Jason, qui n’avaient strictement rien à faire de ce que moi je pouvais ressentir. Pourtant, je ne demande pas la lune, juste quelqu’un d’un qui m’accorde un peu d’affection.

Oui, bon, ça peut arriver à tout le monde de se planter, même aux meilleurs. En partant du postulat que j’en fasse partie, ce dont je doute passablement depuis quelques jours. Donc je me suis trompé. En même temps, je ne vois pas trente six personnes apte à venir s’allonger contre moi en me trouvant entrain de pioncer dans un canapé. Dans ma tête y a... Eléa et... Eléa. Point. Non, y a aussi Zadig version 8 ans. Mais puisqu’il n’existe plus depuis 16 ans, j’imagine que ça ne risque plus d’arriver. Alors non, non je ne m’attendais absolument pas à trouver Gaïa et ses yeux trop grands. J’me sens un peu con, pour le mouvement de recul, mais... Il y a des choses qui ne se contrôlent pas, et l’aspect tactile de ma personne en est une. Je touche pas beaucoup, je me colle encore moins. C’est pas du dédain, c’est juste ... J’sais pas. J’suis pas habitué, je crois. Dans notre famille, chaque geste tendre est presque numéroté, et relève de l’intimité. Alors je touche pas, ou presque. Je suis tendre avec Gaïa, je crois qu’elle n’a pas à critiquer à ce niveau. Je n’ai jamais rechigné à la prendre dans mes bras, à la consoler lorsqu’il le fallait. Je suis ni froid, ni distant avec elle, si ? Du coup, je ne comprends pas sa blague, et je ne vois pas en quoi la serrer contre moi semble la surprendre. J’aurais plutôt pensé qu’elle se serait vexée du mouvement de recul, pas qu’elle allait trouver le ‘câlin’ surprenant au point de blaguer dessus. « Jason ne m’aimait pas parce qu’à cause de moi il a foiré avec Eléa, et qu’en plus je m’employais à casser son coup avec toi. J’étais le bâton dans ses roues. J’étais pas un rival, juste un emmerdeur à ses yeux. » Parce que oui, on ne me fera pas avaler le contraire, il avait d’abord jeté son dévolu sur Eléa, puis sur Hinarani, avant de comprendre que ce serait trop compliqué du fait des sentiments de Jan. Et c’est alors qu’est arrivée la déclaration de Gaïa, au travers de sa crise de jalousie. Du pain béni pour la mission moisie qu’il s’était fixé. Mais elle va bien. Enfin, c’est du moins ce qu’elle me répond. Et elle en a l’air. Vraiment. Jusqu’à sa fameuse question. Trouver quelqu’un de bien ? Evidemment. C’est pas comme si le monde n’était peuplé que de Jason. « Oui, si tu lui laisses le temps de venir jusqu’à toi, plutôt que sauter sur le premier connard venu. » je réponds, sans animosité, limite en souriant. « Désolé de revenir sur notre conversation houleuse de la dernière fois, mais... Ne brule pas les étapes. Laisse le temps au temps. Ça te permettra de voir si ton prince en est vraiment un. Un mec doit te mériter, pas t’obtenir aussi facilement sans rien avoir à faire d’autre que d’embrasser une autre meuf devant toi. » Oui, dit comme ça, il n’était pas si compliqué de constater qu’il s’agissait d’un crapaud. Peut-être pour ça, aussi, qu’on a tous cherché à la mettre en garde. Pas seulement moi.

J’arrive plus à me souvenir pour quelles raisons j’ai décidé de participer à Prima Luce, quand je repense à tout ce qui s’est passé ici. J’ai l’impression qu’en l’espace de quelques mois, j’ai vécu mille vies. Malgré les apparences, je me sens grandi, j’ai l’impression que j’ai pris en maturité. Bien sûr, tout est relatif, je reste tout de même la plus grande gamine de l’aventure. Mais même, de manière générale, je me sens différente. Je sais pas si c’est parce que je m’en suis pris plein la gueule, et encore, finalement, je trouve que je fais beaucoup de cinéma pour rien, ou si parce que je me suis pseudo mise en couple avec Jason, de dix ans mon ainé, ou même d’avoir passé beaucoup de temps avec Amédée, qui a pris tout son temps pour me faire comprendre à quel point je réagissais comme une idiote. Je sais pas si ça se voit vraiment ou si c’est juste une impression que j’ai. Je m’offusque pas de ce mouvement de recul, je dis rien, je laisse faire, parce que je commence à comprendre maintenant, vu le nombre de fois où Amédée a tenté de m’expliquer, qu’il n’appréciait pas les contacts, les caresses, les mouvements de tendresses. J’en fais même une petite blague, comme ça, juste pour nous détendre tous les deux. Et au lieu de ça, je le sens qui s’irrite. Mais c’est pas du tout ce que je voulais. « Non, mais t’inquiète, c’était une blague. » Je me fiche des raisons qui poussaient Amédée à ne pas aimer Jason. J’ai pas réfléchis à ce que signifiait cette blague, c’est juste sorti comme c’est venu. « T’as le droit de pas l’aimer pour toutes les raisons que tu veux, ça m’est égal. » Je lui lance en haussant les épaules. Je me risque à lui poser la question parce que j’ai confiance en lui, parce qu’après tout ça j’ai tout de même besoin d’être un peu rassuré. En fait, je comprends pas ce que j’ai fait pour mériter ça. J’écoute Amédée, parce que c’est plus facile de l’écouter quand il ne me cri pas dessus et que je ne suis pas en larme. D’ailleurs, j’ai l’impression que la plupart de nos discussions se déroulait de cette manière. « Je sais que j’ai été stupide. Mais je voulais lui laissé le bénéfice du doute. Je voulais pas voir ce que vous me disiez, je voulais le voir par moi-même. » Maintenant, j’ai vu. « Tu te souviens de la fille dont tu me parlais au tout début ? » Je lui demande en faisant référence à la première fois où on s’est vraiment parlé lui et moi. Il m’avait dit qu’il y avait quelqu’un, je me demande s’il s’agissait d’Eléa, je me demande, si dès le début, il savait que c’était elle qui lui plaisait. Ou alors c’était sa mère. « C’était qui ? » Au pire il ne me réponds pas, au mieux, il me dit que c’était Eléa et j’ai le plaisir d’assister en live à ces histoires d’amour dont je m’abreuve dans les livres.

Non, elle n’a pas compris ce que je voulais dire, pas plus qu’elle n’est parvenue à interpréter mon état d’esprit. Je ne suis pas irrité, à peine blasé. Je ne fais que rebondir sur sa blague, simplement parce que je viens de comprendre pourquoi ce crétin semblait ne pas pouvoir m’encadrer sans que je n’ai rien fait contre lui. Du moins, c’est ce que je croyais au début, mais à la lumière de sa tare, si, trois fois si, même. Je n’ai fait que ça, l’emmerder, contrecarrer ses plans sans même le savoir. Pas de bol, quand même. « Je ne t’expliquais pas les raisons qui me poussaient à ne pas l’aimer, mais les raisons qui, semble-t-il, le poussait lui à ne pas m’aimer. » je rétorque lorsqu’elle me dit que j’ai totalement le droit de ne pas l’aimer. « En vrai, je l’aimais bien; Jason... Enfin, avant qu’il n’en embrasse une autre et prétende que c’était pour te prouver son amour... » Je soupire en levant les yeux au ciel. « Non mais sérieux, même avec du recul... Quel connard ! » Je ne m’emporte même pas, non, j’ai pas la force pour ça. Je soupire, simplement, parce que ce simple constat m’agace et m'attriste, plus qu’autre chose. Quelque part, je crois que j’aimerais vraiment que Mariposa lui casse la gueule. D’un autre côté, il ne veut pas le coup qu’elle aggrave son casier. Elle me parle de stupidité, et de bénéfice du doute... Mouais... Attendre quelques semaines de plus lui aurait évité ce genre de déconvenue. Cela dit, maintenant, je sais qu’elle ne fera plus la même erreur. C’est l’avantage des leçons bien traumatisantes. J’aurais pu lui dire tout ça, si elle m’en laissait le temps. Mais à la place, elle enchaine en me demandant de faire preuve de mémoire. A quel propos ? La fille dont je lui parlais au tout début ? Laquelle ? Ha bah, visiblement, c’est la question qu’elle se pose également. La fille... La fille... La fille... Quelle fille ? « Oh, Victoire ? » Non, je ne suis pas entrain de m’auto-congratuler. Victoire, c’est son prénom. Enfin, celui qu’elle se donne, je crois. « C’est personne... Enfin, si, elle est persuadée d’être quelqu’un, mais elle n’est rien. » Je soupire encore. Je crois que je viens de passer les 48 dernières heures à soupirer. « Rassure-toi, je ne suis pas entrain de jouer les goujats. Elle a très probablement mit les voiles en apprenant que j’avais été adopté, de toute manière. Elle n’était ‘avec’ moi que pour la position sociale que ça lui conférait auprès de ses copines croqueuses de diams. » j’affirme, très lucide sur cette pseudo relation. « Mais elle était bonne et pas trop chiante, celle-là. » C’est vrai. Elle n’insistait pas trois plombes quand je refusais de la voir -assez souvent, en fait- et me foutait la paix assez régulièrement. Une perle dans notre milieu, en quelques sortes. Quoi ? C’est quoi cette tête qu’elle me tire ? « J’t’ai pas menti, j’t’ai dit que j’avais quelqu’un dans ma vie. J’ai pas précisé si je l’aimais ou non. Disons que... Ma mission en arrivant ici, tu l’as compris, c’était clairement pas pour rencontrer quelqu’un. Je voulais juste dire la vérité à mon frère. Ni plus, ni moins. J’étais même pas là pour gagner, contrairement aux autres. Ne plus mentir, c’était ma mission. Alors j’t’ai dit la vérité. Oui, j’ai quelqu’un dans ma vie. Un parasite, mais ça reste quelqu’un. » Quelqu’un dont je suis très content de me débarrasser, en fait. Quelqu’un que j’oublie une fois sur deux. D’ailleurs, c’est pas un peu le genre de truc dont j’aurais du parler à Eléa ? Bah j’avais oublié.